Ce cas concerne Mme B, âgée de 70 ans qui est hospitalisée suite à la découverte d’un myélome et présente une dépression réactionnelle. Elle subit également un syndrome post-chute important. Cette patiente a un comportement infantile quand elle est anxieuse, elle tolère très mal les soins (de la programmation jusqu’à la réalisation), ce qui se manifeste par de nombreuses demandes souvent inadaptées, y compris des demandes intempestives de traitement anxiolytique qu’elle a l’habitude de prendre de façon démesurée au domicile. L’anxiété est majorée lors de la réfection de pansement d’escarre sacrée. Mme B. est dépendante des traitements antalgiques depuis plusieurs d’années et a une tolérance à la douleur très limitée. (…)
SEANCE 1 :
Pour cette première séance, je propose à Mme B. d’essayer de diminuer son anxiété qu’elle évalue 10/10. Nous parlons au préalable de son passé, de ses expériences professionnelles et personnelles, des activités qui la passionnent et de ce qu’elle pense être toujours en capacité de réaliser. Je lui explique le fonctionnement des séances, et échange avec elle sur l’idée qu’elle se fait de l’hypnose et des craintes qu’elle peut avoir. Etonnement, elle n’a pas d’appréhension particulière, elle est ouverte à la relation et parvient à se décentrer assez rapidement d’elle-même. Le souvenir qui lui revient et la fait « partir » à peine commence t’elle a en parler, est le souvenir d’un « road-trip » en mobylette avec un petit-ami. Ils ont sillonné la côte atlantique pendant un été, faisant des arrêts au gré des envies et sans contraintes.
Mme B. a déjà clairement entamé son induction pendant la discussion, et nous l’approfondissons par focalisation sensorielle. Les réponses idéo-motrices sont nombreuses durant cette séance.
(Une fois l’induction réalisée) :
(Moi) : « Les yeux peuvent à présent observer les paysages qui défilent, parfois éblouis par le soleil d’été, voir la ligne d’horizon se fondre sur l’asphalte, les villes et villages défiler, les bords de mer et plages à la fois toutes semblables et à la fois uniques. Le corps ressent les vibrations de la mobylette, les mains qui machinalement effectuent leurs manœuvres pour diriger l’engin. (Mme B. commence à lever les mains et les positionner en mode de conduite), comme ça, exactement, c’est très bien, (…) et d’avancer sur la route tranquillement au gré des paysages, en tournant parfois à droite, parfois à gauche, l’air sur le visage, qui rend la route plus agréable, plus confortable. Puis peut-être d’arriver à destination, de s’arrêter auprès d’une plage, les pieds sentent le sable, son grain, sa douceur sous le pied, la chaleur du sable, puis la fraicheur du bord de l’eau, l’eau rafraîchissante, que les jambes peuvent sentir aller et venir contre elles au gré des vagues, les pieds qui s’enfoncent dans le sable mouillé, et avancer un pas après l’autre pour finir par nager, le corps allégé par l’eau, agréable et confortable, et c est si bon de sentir ce corps sans aucune contrainte. (…) (Le corps de Mme B. s’étire et se relâche sur son lit, son visage est détendu, elle respire calmement). Très bien, et vous pouvez continuer à profiter tranquillement de cette expérience, car l’inconscient travaille pour vous, utilise vos ressources et réalise un apprentissage de ce que vous êtes en train de vivre (…). Puis, quand vous serez prête, à votre rythme, de reprendre la route vers ici et …(réassociation par focalisation sensorielle).
Mme B. est très détendue physiquement, elle a beaucoup apprécié cette séance. Elle explique : « j’ai revu ce voyage avec mon copain, la route, les baignades, j’ai vraiment eu la sensation d’être dans l’eau et la fraicheur. Ça m’a fait du bien et j’aurais presque envie de dormir … ». Elle me réclame alors un « petit comprimé quand même pour « se finir » ». Elle estime son échelle d’anxiété à 7/10 mais finalement n’aura pas d’autres sollicitations envers les soignants ce matin là.
SEANCE 2 :
Cette seconde séance se déroule environ 3 semaines plus tard. Mme B. a meilleur moral, et est moins « envahie » par son anxiété. Elle arrive à déterminer que son anxiété est majorée lors de la réfection du pansement qui est toujours douloureux malgré les antalgiques. Elle estime son échelle d’anxiété ce jour à 6/10 avant la séance. Je décide donc d’employer le casque de réalité virtuelle pour préparer Mme B aux soins. Je lui présente le matériel, lui explique comment il fonctionne, Mme B. s’installe et enfile le casque sans aucune crainte. Vu le ressenti de la patiente lors de la première séance, je choisi, en accord avec Mme B, une vidéo 360 VR de plongée avec des dauphins.
Après l’induction par focalisation sensorielle, au signaling de la patiente, je démarre la vidéo et laisse quelques secondes à la patiente pour s’imprégner de ce nouvel environnement.
(M) : « Le corps sait faire ce qu’il a à faire. Et une partie de vous peut expérimenter les sensations différentes qui peuvent apparaitre. La légèreté qui peut s’installer peut être d’abord par un endroit précis du corps (…), puis ressentir le corps tout entier s’alléger au contact de l’eau, observer les mouvements qui se ralentissent, se font plus amples et qui permettent de nager dans ce bleu si apaisant, si relaxant. Et les yeux peuvent prendre le temps d’observer toutes les nuances de bleu qui peuvent changer selon les reflets lumineux du soleil, selon les courants et les mouvements des dauphins qui font leur chorégraphie devant vous (…). Et les oreilles peuvent entendre le bruit de l’eau et l’appel des dauphins a nager avec eux, à libérer le corps des tensions et des douleurs. Les mains sentent l’eau glisser sous elles, la température, ni trop chaude, ni trop froide, une température agréable, confortable. Les mains peuvent également frôler, caresser les dauphins, nager tranquillement et choisir d’aller dans la direction de votre choix, parfois remonter, et laisser l’air frais emplir les poumons (…), (la patiente inspire de manière plus importante ), ok, qui permet de plonger, plus profondément et d’aller observer de nouvelles choses qui n’étaient pas accessibles sans plonger plus bas, encore plus bas, voilà, très bien. Et pendant qu’une partie de vous peut s’émerveiller des profondeurs sous-marines, de ses couleurs, de ses textures, et des dauphins qui vous accompagnent en toute sécurité, une autre partie, une partie plus profonde de vous, réalise des apprentissages, mobilise vos ressources personnelles, apprend des sensations parfois nouvelles de cette expérience (…). Et aussi longtemps que nécessaire, vous pouvez laisser le corps se détendre au gré des flots, d’avancer tranquillement dans le courant, ressentir l’eau au contact de la peau (…), et l’inconscient va vous aider à vous resservir de cette expérience dans les situations où vous en aurez besoin, à retrouver les sensations agréables du corps dans l’eau. Et quand l’inconscient aura suffisamment appris de cette expérience, alors est ce que la tête peut me faire un signe ? (Mme B. hoche la tête) Et de refaire le trajet avec les dauphins jusqu’au bord de l’eau, prête à remonter l’escalier, la 5eme marche, et la peau peut sentir l’air et la température de la pièce (…), la 4ème, de sentir le corps installé dans ce lit, les points d’appui, la tête sur l’oreiller…, la 3ème, l’inspiration, l’expiration, (…), la 2ème, les oreilles qui entendent ma voix, les bruits autour de nous, enfin la dernière, et quand vous serez prête de prendre une grande inspiration et les yeux pourront se rouvrir. (J’aide Mme B. à retirer le casque).
Mme B, rouvre les yeux et me livre son ressenti : « Je me suis vue avec les dauphins, dans l’eau, faire les mouvements comme eux, les douleurs ont disparu, je sens l’eau passer sur le corps. Je me suis relaxée, je m’endors presque ». Elle place le curseur de son échelle d’anxiété à 2/10 à la fin de cette expérience.
J’explique à Mme B. qu’elle peut se resservir de cette expérience lors des soins, qu’elle peut se focaliser à nouveau sur ses sensations et laisser les dauphins venir à elle. Le pansement se déroule mieux que d’habitude et à la fin du soin, elle dit : « tu sais, j’y étais avec les dauphins ».
SEANCE 3 :
La troisième séance se déroule lors de la réfection du pansement. La patiente m’a régulièrement confié qu’elle voit les dauphins quand elle subit des soins. Ce jour, je suis accompagné d’une autre infirmière et d’une étudiante pour la réfection du pansement. La patiente est tournée sur le côté, je me place face à elle et je lui dis que l’infirmière va commencer le pansement, mais qu’elle peut aller avec les dauphins. Cette proposition étonne l’infirmière et l’étudiante qui ne sont pas informées de ma pratique. Mme B. explique d’elle même qu’elle nage avec les dauphins quand le pansement est refait, et que cela rend le soin supportable. Au fur-et-à mesure qu’elle donne des explications, elle réalise sa propre induction, et ne réagit pas quand l’infirmière débute la détersion mécanique du pansement. L’infirmière, tout en poursuivant le soin, me demande des précisions sur l’hypnose et sur le casque de réalité virtuelle. Avec l’accord de la patiente, je lui relate la séance « plongée de Mme B » (…). Le pansement se termine, et je propose à Mme B. de livrer son ressenti sur ce soin. Elle n’a pas manifesté d’anxiété ni de douleurs particulières pendant le pansement, à la surprise de l’infirmière qui a réalisé le soin. Avant de sortir de la chambre, la patiente dit : « J’étais avec les dauphins (…)».
Conclusions : Ce cas démontre que la réalité virtuelle peut activer et amplifier la transe, servir des sensations kinesthésiques positives, transformer les sensations désagréables du corps et ancrer des sensations plus agréables à la simple évocation de l’expérience hypnotique. De plus, il est possible de recréer cet état de transe en réalité virtuelle sans utiliser le casque par la suite (…). La réalité virtuelle associée à une narration suggestive permet d’initialiser l’auto-hypnose chez la patiente, de la faire évoluer librement pour qu’elle soit davantage interactive et puisse devenir une réalité alternative positive le temps de la transe.
Aurélien Serruau
(dans le cadre d’hypnoses pratiquées au service de soins de suite du centre hospitalier de Vierzon)