VR pour les phobies: essentiel ou gadget ?

En s’intéressant de plus près au traitement des phobies par la réalité virtuelle (VR), on est immédiatement frappé par un paradoxe. Il existe une littérature scientifique assez exhaustive sur le sujet qui, au fil des tests, montre que la thérapie d’exposition des patients par la réalité virtuelle fonctionne aussi bien que l’exposition in vivo (2) avec bien entendu pour la VR des avantages logistiques qui évitent le temps, les frais et la logistique liés à une exposition in vivo. Des fournisseurs de solutions combinant matériel et logiciel (C2care en France, OxfordVR au Royaume Uni, Psious en Espagne, Invirtuo au Canada) se sont emparés du sujet sur les cinq dernières années et sont en forte croissance si l’on en juge par leur nombre croissant d’employés visibles sur Linkedin et leurs levées de fond successives (12M€ en février 2020 pour OxfordVR). Pourtant l’un de nos premiers entretiens avec une psychologue pionnière sur le sujet nous apprend qu’elle a arrêté pas convaincue du tout par l’intérêt du dispositif pour sa pratique. Il existe d’autres outils/méthodes nous dit-elle, c’est un peu un « gadget ». Un gadget qui en effet n’est utilisé que par environ 1,3% des psychologues en France, une proportion encore très faible, et qui le reste même si on rapporte le nombre d’utilisateurs au chiffre, plus faible, des psychologues pratiquant les TCC, et donc pour qui cette technologie est utile. Est-on encore en face d’une fausse disruption dans ce domaine qui fera un flop comme les TV 3D ou d’un cas d’usage que quelques leaders d’opinion et des fabricants déterminés vont enfin parvenir à faire émerger ? Une difficulté pour aller du « labo » à la « practice » (le cabinet) et passer ainsi de l’« evidence-based practice » à la « practice-based evidence » ? Il faut établir les faits indépendamment des discours marketing, recenser, comparer… Voici donc ce qu’une trentaine d’entretiens auprès de psychologues, psychiatres, hypnothérapeutes nous a appris :

Un décompte du nombre de praticiens utilisant la réalité virtuelle pour les phobies et visibles sur internet montre qu’on parle en France de quelques centaines de thérapeutes. Nous avons demandé un entretien à une soixantaine d’entre eux. Parmi ceux-ci 26 ont acceptés, 10 ont répondu avoir arrêté ou utiliser la VR trop occasionnellement pour être légitimes sur le sujet. Parmi ceux interviewés, on réalise que le test du « must-have » (3) dans lequel la personne doit attribuer une note entre zéro (« la solution est complètement inutile et je me passerais sans difficulté ») et dix (« la solution est m’indispensable, si elle venait à ne plus exister je ne pourrais pas travailler sans »), donne des résultats peu encourageants. Parmi les utilisateurs, la note moyenne est de 3,2/10. La « VR n’est pas indispensable », « on a bien fonctionné sans », « le propre de la TCC c’est de savoir combiner, de façon souple et adaptée les méthodes » … On n’est certainement pas en face d’une disruption indispensable à notre quotidien comme l’est le Smartphone par exemple. Même pour les fans déclarés, la plupart s’en passeraient demain s’il le fallait. Alors est-ce à dire que, comme l’affirmait notre première interviewée, on est en présence d’un « gadget » ? Une question sur le « Net Promoter Score » (NPS) permet de clarifier davantage la situation. Les interviewé.es recommanderaient-ils.elles à leurs collègues d’utiliser la VR pour le traitement des phobies ? Le NPS calculé est de -11 et confirme une faible satisfaction pour la solution (4). Sur le plan technique d’abord. « Difficile à démarrer », même si on s’habitue à la longue, il existe toujours des mises à jour dont il faut se prémunir en les faisant le matin par exemple, et en tout cas suffisamment à l’avance pour ne pas se crédibiliser en présence du patient. Le temps d’utilisation et de chargement des batteries, la présence d’un câble sur certains modèles de casques sont aussi des freins.  Certes les fabricants sont très à l’écoute (mention particulière à C2Care !), la technologie s’est nettement améliorée au fil des années mais on parle de solutions qui sont un peu délicates pour un usage dans le cadre d’un cabinet sans personnel dédié aux sujets techniques. La formation est alors un enjeu : des pionniers.res comme Virginie Maurice-Ernoult du Vésinet sont aujourd’hui très positifs sur le sujet de la VR, mais sa satisfaction n’est venue qu’au prix d’efforts substantiels et non sans avoir « essuyé les plâtres ». Si des formations sont maintenant proposées, cela demande de prendre le temps pour les suivre : on est loin de solutions « plug-and-play » dont la prise en main serait l’affaire d’un tutorial sur Youtube et ce d’autant moins quand on est peu familier avec les technologies. En outre, le contenu montre aussi des limites : le métro générique proposé dans les contenus n’est pas le métro parisien. Circuler en ville ne met pas dans le même contexte qu’un déplacement en montagne. Les personnages en 3d sont aussi peu réalistes : on est loin des Assassin Creed ou autres jeux grands publics (et pour des bonnes raisons : un personnage d’Assassin Creed peut représenter un budget de développement de plusieurs centaines de milliers d’euros, loin de ce que le marché serait en mesure de payer)

L’utilisation effective est aussi souvent un frein au développement de ces solutions. En moyenne les praticiens font appel à ces dispositifs relativement peu souvent : 2 à 3 fois par semaine. Une faible utilisation fait que le budget de location est souvent remis en question : comment payer plus d’un millier d’euros par an, avec parfois le coût supplémentaire d’un PC de « gamer », quand on a un à deux patients par mois qui sont traités en VR ?

En première analyse, on pourrait donc penser qu’il va falloir encore quelques années avant que le rapport prix/simplicité/résultat ne permette une réelle démocratisation de ce genre de solutions. Certes, mettre en avant sur son site que l’on traite par la réalité virtuelle amène des patients mais le prix des abonnements annuels fait que le jeu n’en vaudrait pas la chandelle. La bonne solution serait alors se tourner vers de la VR d’entrée de gamme comme pratiquée par certains (Emeric Languérand psychologue à Paris, Herve Montes psychiatre à Orléans) qui ont choisi l’approche de casques à bas prix (intégrant un smartphone au lieu d’un PC complet) et de contenus gratuits trouvés sur internet.

Cependant, et comme souvent, les moyennes cachent des écarts qui sont clefs dans la compréhension d’un sujet. Parmi les personnes interviewées, sept d’entre elles donnent un score supérieur ou égal à 9 et donc sont promoteurs à très promoteurs de l’approche.

Parmi les beaux succès et les grandes promotrices, on compte par exemple Sylvie le Moullec, psychologue en Bretagne et à Paris. Voyant que la VR lui amenait à la fois des gains en temps et en logistique concrets sur Quimper depuis 2013, elle a déployé des systèmes progressivement à Brest, Lanester puis Vannes. La VR a donc été un des éléments clefs du développement de son activité et les solutions VR qu’elle utilise, issus de développements à façon ou sur étagères, lui donnent entière satisfaction.

Mais alors comment expliquer de telles différences dans la satisfaction des praticiens envers cet outil? Plusieurs facteurs pourraient entrer en jeu. Le type de phobies traitées (voir un prochain article sur « le top 3 des phobies traitées en VR ») : si les phobies du vide sont très bien traitées en quelques séances de réalité virtuelles, le verdict est plus mitigé par exemple sur les phobies sociales. Si le type de phobie influe, une des clefs pourrait être alors le profil de la patientèle du psychologue : traite-t-il plus des jeunes, est-il en zone rurale, urbaine, quelle est sa spécialité, et en fonction, il sera interrogé sur des phobies traitées plus ou moins efficacement par la réalité virtuelle… Le succès du praticien et partant la taille de sa patientèle, est aussi un facteur : s’il a peu de patients, il est probable que la solution lui sera peu utile et qu’il sera enclin à arrêter l’expérience eu égard à son coût important. La technique utilisée est un autre facteur clef : la VR s’utilise dans le cadre d’une thérapie d’exposition, or les techniques utilisées dans ce cadre sont multiples. Certaines ont peut-être plus d’impact que d’autres combinées à de la VR (sujet d’un prochain article !) et le praticien pourra remettre en question l’outil alors que c’est la technique dans sa globalité qui devrait être optimisée. N’oublions pas non plus de mentionner les facteurs qui entrent en jeu de façon générale dans le succès d’une thérapie : la motivation, l’alliance thérapeutique, l’attente du patient… (5) Enfin, un autre facteur pourrait être la persuasion dont fait preuve le praticien pendant la séance : si certains patients se plaignent du réalisme, les praticiens, parmi lesquels Pierre Carnicelli dans le Val d’Oise, qui convainquent leur patient que « ça marche » que la clef n’est pas le réalisme mais l’expérience globale, l’interactivité, qu’il faut se projeter et persévérer ont apparemment plus de succès que les autres. La longue expérience et les résultats des expositions avec des dispositifs plus sommaires (images, films vus sur un simple écran…) montre que l’écart entre la situation exacte dans laquelle le patient a un comportement phobique et l’image visualisée n’est pas tout le temps un facteur de succès ou d’échec.  Certains avancent même que le côté générique, peu réaliste de certains contenus VR permet de traiter la phobie de façon plus générale, plutôt que de se retrouver à traiter la phobie uniquement dans le cas d’un contenu VR précis. Le facteur « persuasion » entre en jeu aussi dans le simple fait de proposer cette thérapie régulièrement ou non. Problème de la poule et de l’œuf : si on met en avant souvent la VR, on est familier avec la solution et donc plus efficace, si on la laisse de côté, la prochaine séance présentera peut-être des difficultés techniques qui rendront l’expérience moins probante…

La VR est-elle un élément essentiel dans le traitement des phobies ? Comme souvent en technologie, ce n’est sans doute qu’une question de timing. Le « Newton » d’Apple est venu trop tôt par rapport à l’iPhone, le streaming sur mobile n’est devenu une expérience satisfaisante qu’avec la 4G. En tant que praticien, si vous voulez vous différencier, montrer que vous êtes à l’affut des nouveautés pour traiter votre patient, cet investissement vous sera utile. Ceci dit, rien ne vous interdit de patienter un peu, le mix prix/valeur va encore beaucoup évoluer (pour preuve la baisse de prix du nouveau casque Oculus Quest2) et vous vous retrouverez peut-être davantage dans ce que le marché proposera dans un an ou deux. Une chose est sûre : vous serez probablement utilisateur.trice de réalité virtuelle. Aujourd’hui ou demain, pour la première fois ou pour un nouveau départ dans le domaine !

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(1) Source : IDC International Data Corporation 2020

(2) Wechsler T., Franziska Kümpers and Andreas Mühlberger (2019) “Inferiority or Even Superiority of Virtual Reality Exposure Therapy in Phobias?—A Systematic Review and Quantitative Meta-Analysis on Randomized Controlled Trials Specifically Comparing the Efficacy of Virtual Reality Exposure to Gold Standard in vivo Exposure in Agoraphobia, Specific Phobia, and Social Phobia” retrieved from Front. Psychol., 10th September 2019 https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2019.01758/full

(3) Sean Ellis « Hacking growth »

(4) Un NPS calculé à partir des notes recueillies peut aller de -100 à +100 : pour des solutions innovantes, la norme est plutôt à 30 pour aller à 80 pour des Netflix et autres « love brands »

(5) Voir aussi Thierry Melchior dans « Créer le réel » sur l’importance de la suggestion, volontaire ou non, par le thérapeute dans la guérison, et ce indépendamment de la méthode utilisée (P. 21 Edition Seuil)

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